Manifeste

La genèse de ce séminaire part du constat que dans le champ de recherche sur le rapport entre corps et technologie, les thématiques de l’humain augmenté et du transhumanisme prennent depuis plusieurs années une place conséquente dans l’arène médiatique et dans les débats universitaires mais au travers d’une focalisation basée sur certaines représentations et perspectives souvent très éloignées de la réalité du terrain. Il devient difficile d’évoquer l’hybridation corps/technologie (Andrieu, 2008) sans que de nombreux débats se cristallisent sur les problématiques de l’augmentation humaine, des idéologies performatives ambiguës et des controverses promesses/dangers d’un homme futur amélioré. Pourtant, pour les acteurs de terrain (usagers, soignants, ingénieurs et chercheurs, etc.) confrontés à l’utilisation des technologies d’assistance au corps, le transhumanisme ou le post-humanisme constituent des sujets relativement marginaux.  Un décalage conséquent est perceptible entre les expériences quotidiennes de ces individus avec les technologies à visées thérapeutiques et la polarisation de ces thématiques dans différents débats sur les évolutions technologiques contemporaines. En ce sens, c’est tout un pan de la recherche sur la complexité des expériences entre « son » propre corps et les technologies d’assistance – en sciences humaines et sociales mais également dans les domaines de la santé et de l’ingénierie robotique – qui est relégué au second plan et que nous souhaitons (re)mettre au cœur du débat.

La démarche de ce séminaire n’est pas de nier les enjeux et la dangerosité des arguments transhumanistes actuels (Robitaille, 2007 ; Besnier, 2009 ; Le Dévedec, 2015) ou de réfuter toute pensée critique sur le corps technologisé (Munier, 2013), connecté et augmenté (Biagini, 2012 ; Sadin, 2013, Benassayag, 2016). Dans la continuité des recherches et colloques sur les dispositifs prothétiques et de manière complémentaire aux réflexions et études sur l’augmentation de l’humain et le transhumanisme, la démarche revendiquée est de réinterroger le rapport organique/technologique en centrant nos réflexions sur les expériences singulières liées à l’utilisation de différentes technologies d’assistance au corps telles que les prothèses, fauteuils électriques, assistances informatiques et robotiques, implants ou avatars.

Dans la revendication d’une itération théorie-terrain (Olivier De Sardan, 2013), nous serons particulièrement attentifs au cours de ce séminaire, à croiser et articuler les diverses recherches-témoignages sur l’expérience du corps hybride avec une double réflexion théorique-critique des enjeux thérapeutiques et dérives anthropotechniques générées par la place dominante des techno-sciences dans les sociétés occidentales contemporaines. Autrement dit, la finalité de ce séminaire est de mettre en lien et en confrontation les différentes facettes d’une même réalité, afin d’en améliorer la compréhension et les connaissances par la collaboration entre les disciplines, les approches, les expériences et les identités multiples.

L’enjeu principal de ce séminaire est d’ouvrir des fenêtres de discussions sur les diverses expériences avec ces différentes technologies à partir de la notion de terrain, de vécus subjectifs et dans une approche transdisciplinaire aux croisements de la sociologie, l’anthropologie, la philosophie, l’éthique, l’ingénierie médicale, la médecine et les sciences de la santé. Différents axes d’étude seront abordés tels que : la multiplicité des expériences corporelles et ressentis singuliers avec les différentes dispositifs technologiques d’assistance au corps ; les usages, pratiques et conduites motrices (Warnier, 2005) développés avec ces dispositifs ; les prolongements, limites et frontières du corps hybridé ; les représentations, interactions sociales et normes corporelles s’y rapportant ; les questionnements sociétaux qui découlent de l’évolution technologique (anthropotechnie (Goffette, 2006), enjeux anthropologiques de la nouvelle robotique (Denis Vidal, 2015), éthique synthétique (Dumouchel & Damiano, 2016)).

Espace de rencontres, d’échanges, de réflexions et de co-construction de savoirs, ce séminaire qui se déroulera plusieurs fois par an dans différentes institutions en France, est ouvert à tous les étudiants et chercheurs universitaires, ingénieurs, praticiens, usagers, personnes militantes et/ou d’associations portant un intérêt à ces questionnements vis-à-vis des expériences singulières corps/technologie.

Bibliographie

  • Andrieu, B. (2008). Devenir hybride. Presses Universitaires de Nancy.
  • Bennassayag, M. (2016). Cerveau augmenté, homme diminué. Paris : Éditions La Découverte.
  • Besnier, J-M. (2009). Demain les posthumains, le futur a-t-il encore besoin de nous ?, Paris : Éditions Littératures.
  • Biagini, C. (2012). L’emprise numérique. Comment internet et les nouvelles technologies ont colonisé nos vies. Paris : Éditions L’échanpée.
  • Dumouchel, P. & Damiano, L. (2016). Vivre avec les robots. Essai sur l’empathie artificielle. Paris : Éditions du seuil.
  • Olivier De Sardan, J.-P. (2013). La rigueur du qualitatif. Les Contraintes de l’interprétation socio-anthropologique. Paris : Academia Bruylant.
  • Goffette, J. (2006) Naissance de l’anthropotechnie. De la médecine au modelage de l’humain. Paris : Libraire Philosophique J.VRIN.
  • Le Dévedec, N. (2015). La société de l’amélioration. La perfectibilité humaine des Lumières au transhumanisme. Montréal : Liber.
  • Munier, B. (sous la direction). (2013). Technocorps. La sociologie du corps à l’épreuve des nouvelles technologies. Paris : Les éditions nouvelles François Bourdin.
  • Robitaille, A. (2007). Le nouvel homme nouveau. Voyages dans les utopies de la posthumanité. Montreal : Les Éditions du Boréal.
  • Sadin, E. (2013). L’humanité augmentée. L’administration numérique du monde. Paris : Éditions L’échappée.
  • Denis Vidal. (2012). « Vers un nouveau pacte anthropomorphique ! », Gradhiva, n°15.
  • Warnier, J-P (2005). Construire la culture matérielle. Paris : PUF.