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Horaires : 9h30 – 17h30
Centre Ressource Réhabilitation Psychosociale et Remédiation Cognitive (CL3R)
4 rue Jean Sarrazin
69008 Lyon
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Résumé
Dans le cadre du cycle de séminaires « Corps et prothèses 2018/2019 » qui s’intéresse aux rapports entre corps et technologies, ce colloque interdisciplinaire se propose d’aborder le corps sous l’angle spécifique du genre, à savoir dans ses dimensions non seulement genrées, mais aussi sexuées et sexuelles, lorsqu’ils sont en relation avec des dispositifs prothétiques. Que l’on pense en effet
– aux prothèses pour membres inférieurs et supérieurs,
– aux prothèses mammaires, péniennes, urologiques suite aux traitements du cancer (chimiothérapie, radiologie, ablation…),
– aux prothèses capillaires,
– aux dispositifs d’assistance et/ou de stimulation sexuelles aux personnes en situation de handicap et/ou valides (ex. travailleur/ses du sexe, handylover, matériel pornographique, sextoys, poupées et robots sexuels, viagra…),
– aux prothèses chimiques (pilule contraceptive, traitements hormonaux de substitution à la ménopause (THS), psychotropes, viagra…),
les techniques ne s’articulent jamais à des corps neutres du point de vue du genre et des sexualités. Cette imbrication semble même affecter tant la configuration des techniques que celle des corps et de leurs activités.
Dans ces journées de colloque, il s’agira donc d’interroger les relations entre les corps et les prothèses au prisme du genre et de la sexualité. Historiquement, les technologies, et plus encore les prothèses des membres supérieurs et inférieurs, ont été associées à la masculinité (Serlin, 2002 ; Sharp, 2011). Comme l’a montré David Serlin, alors que les corps blessés des soldats rentrés de la première guerre mondiale suscitaient l’inquiétude, et que l’amputation était associée à l’émasculation, les médias américains, en diffusant des récits héroïques sur la vie et le travail des vétérans appareillés de prothèses, ont joué un rôle crucial pour associer prothèses et corps masculins / masculinité (Serlin, 2004 : 48-52). Les prothèses ont en effet permis l’affirmation d’une « masculinité hétéronormative triomphante ». Comme le souligne Lesley Sharp (2011), ces liens intimes entre dispositifs prothétiques et masculinité hétéronormative sont toujours présents dans le domaine de la (bio-) ingénierie — un domaine particulièrement masculin dans sa composition, tout comme les formations techniques en général, avec la culture technique que cela entraîne. Étonnamment, les corps des femmes sont notablement absents du façonnement concret et de l’imaginaire dans le domaine des prothèses. Cependant, ils sont intrinsèquement associés à certains types de prothèses, à la fonction esthétique directe (les prothèses mammaires représentent un volume prépondérant d’interventions en chirurgie esthétique) ou indirecte (pilule contraceptive, THS…). Tout cela nous invite à interroger les processus de co-construction du genre et des prothèses.
Au-delà de la destination des prothèses, distribuées aux hommes ou aux femmes, et de leur fonction, sexuelle et sexuée, le prisme du genre appliqué aux prothèses corporelles pose la question transversale des rapports sociaux de sexe. Un tel prisme soulève des enjeux de rapports de pouvoir entre des groupes sociaux de sexe institués, et reproduits à travers des normes corporelles, sexuelles et de comportements. Or, ces normes peuvent être reconduites, renforcées ou au contraire transgressées par les dispositifs prothétiques, en fonction des savoirs savants sur lesquels ils reposent, des communautés scientifiques, d’ingénierie et de médecine qui les supportent, des réglementations qui encadrent leurs usages, de leur accessibilité, des appropriations par les usager.e.s.
Nous nous demanderons ainsi au cours de ces journées en quoi les dispositifs prothétiques peuvent être vus comme des processus de construction des identités genrées et sexuelles, c’est-à-dire comme des technologies de genre au sens de Teresa De Lauretis (1987, trad. fr. 2007). Nous gardant de présupposer une opposition universelle des sexes (différence sexuelle universelle), qui cache à la fois les différences entre les femmes ou entre les hommes et les différences sexuelles multiples et contradictoires tapies en chacun.e d’entre nous, nous prendrons « le genre, comme la sexualité, non pas comme des propriétés des corps ou quelque chose qui existe originellement chez les êtres humains, mais comme un ensemble d’effets produits dans les corps, les comportements et les relations sociales, grâce au déploiement d’une « technologie politique complexe » » (De Lauretis, 2007 : 41). Cela suppose de comprendre à la fois les effets productifs des dispositifs prothétiques dans les corps et les subjectivités et ceux des représentations de genre et de sexualité dans la fabrication et l’usage des technologies. Quelles répartitions des capacités d’énonciation, d’agir et de ressentir réalisent alors les prothèses mécaniques, numériques, chimiques ou autres, au plan du genre et de la sexualité ? Comment les prothèses construisent et déconstruisent, reproduisent et transgressent les normes de genre et de sexualité ? Comment sont-elles (ré-) appropriées par leurs utilisateurs.trices pour performer ou questionner les identités de genre et sexuelles ?
Ancrée dans les expériences singulières de conception, d’appareillage et d’utilisation de dispositifs prothétiques, cette double journée d’étude croisera les regards de chercheur.e.s, usager.e.s et professionnel.le.s.
Bibliographie
– De Lauretis, Teresa (2007) Théorie queer et cultures populaires : de Foucault à Cronenberg, trad. Marie- Hélène Bourcier, Paris, La Dispute.
– Serlin, David (2002) « Engineering Masculinity : Veterans and Prosthetics after World War Two », in Katherine Ott, David Serlin et Stephen Mihm (dir.) Artificial Parts, Practical Lives : Modern Histories of Prosthetics, New York et Londres, New York University Press, pp. 45-74.
– Sharp, Lesley A. (2011) « The Invisible Woman : The Bioaesthetics of Engineered Bodies », Body & Society, vol. 17, n°1, pp. 1-30.